Plusieurs niveaux de difficultés sont proposés. Les enfants les investissent non pas en fonction de leur section, mais en fonction de leurs compétences.
C’est au contact de mes élèves de petite, moyenne et grande sections que j’ai imaginé ce dispositif.
1. Pourquoi ?
L’atelier échelonné est une façon de répondre à l’extrême diversité des enfants de maternelle, même au sein d’une seule section.
Dans cette vidéo, je n’ai filmé que des élèves de petite section. On y voit des enfants qui ne parviennent pas à trier quand d’autres savent réunir 5 triangles violets.
On ne peut « donner » un travail identique à tous ces enfants : ils sont tellement différents les uns les autres. Et c’est bien normal : les onze mois qui séparent les PS nés en janvier et ceux nés en décembre représentent un tiers de vie, une montagne d’apprentissages ! Les milieux où ils ont vécu leurs premières années de vie, peuvent être aussi tellement différents.
J’ai donc choisi de proposer plusieurs niveaux de difficultés à un atelier, à chaque fois que cela est possible.
L’enfant va pouvoir construire un parcours qui lui correspond.
Comme il peut s’inscrire plusieurs fois à un atelier dans notre classe, il va moduler ce parcours en fonction de ses capacités. Lors d’une nouvelle participation, il peut :
- expérimenter un niveau plus difficile
- refaire un niveau déjà réussi pour engranger le plaisir de bien faire et une bonne estime de soi en tant qu’élève
- réussir un niveau qu’il ne maitrisait pas la veille : le temps et le sommeil ont structuré sa compréhension et lui permettent bien souvent de progresser de façon importante d’un jour sur l’autre
- expérimenter un niveau inférieur à celui échoué et mieux comprendre les apprentissages en jeu, ses propres compétences, parfois grâce à l’éclairage de l’adulte ou du bilan.
2. Atelier échelonné et organisation de la classe
L’atelier échelonné ne fonctionne pas tout seul : c’est parce qu’il est inséré dans une organisation spécifique qu’il favorise le progrès des enfants.
L’engagement de l’enfant
Les élèves peuvent s’inscrire par eux-même ou être accompagnés tout spécialement par l’adulte ce qui génère un engagement fort.
(Voir « Les rouages de l’organisation de la classe ».)
Ils ne prennent pas le niveau le plus facile pour aller jouer, les coins jeux sont ouverts presque en permanence dans notre classe, le jeu libre constituant un formidable vecteur d’apprentissages. Il a toute sa place dans notre maternelle.
L’erreur est généralement appréhendée par les enfants comme un indicateur et non comme un échec qui les démobiliserait. Dans notre classe de Cycle, les enfants savent qu’il y a toujours un niveau plus difficile qu’ils ne peuvent pas encore atteindre. Apprendre y est un chemin de découvertes infinies, avec parfois ses détours, ses paliers que l’on ne peut encore atteindre.
L’inscription multiple
Les enfants peuvent s’inscrire plusieurs fois à un même atelier, expérimenter différents niveaux, souvent mis en lumière par les brevets.
Cela permet une individualisation des parcours mais aussi une compréhension métacognitive de l’apprentissage : l’enfant en apprend sur les composantes de l’apprentissage lui même, notamment en observant les autres.
À l’atelier d’écriture, écrire le mot « PACO » demande de savoir écrire les 4 lettres alignées, dans l’ordre.
Les concepts imbriqués d’un apprentissage, que perçoivent intuitivement les « bons » élèves, sont éclairés pour tout le monde.
Cette inscription multiple permet à l’enfant de mieux connaitre ses propres compétences, aidé par le brevet qui les donne à voir. Parce qu’on lui donne le temps et plusieurs occasions d’expérimenter, il peut progresser sereinement.
Enfin, ce n’est pas anodin, l’inscription multiple prend en compte le rôle du sommeil dans les apprentissages et je suis souvent étonnée de l’évolution des performances des enfants, sur un même atelier, après une nuit. Ce qui était hors de portée la veille devient accessible lors d’une nouvelle inscription.
J’ai pu l’observer même pour l’écriture, un apprentissage qui peut sembler, au premier regard, essentiellement « moteur ». D’une journée à l’autre, les enfants parviennent à faire la partie sans aide de la fiche d’écriture alors que la veille, elle paraissait inaccessible. La nuit a consolidé les apprentissages, libérant des ressources et l’enfant peut avancer plus loin.
Voir les travaux de S. Dehaene : La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil
Le bilan
J’organise autant que je peux un temps bref de bilan, toutes sections confondues. Le regroupement collectif me semble inadapté à la passation de consignes mais dans le cadre du bilan, il n’y a pas trop de répercussions au fait que certains ne parviennent pas encore à écouter.
Les plus experts mettent en mots les différentes composantes de l’apprentissage qu’ils consolident par là-même. Il arrive aussi qu’ils relancent l’engagement d’autres enfants.
L’autonomie de vie dans la classe
Les enfants gèrent une grande partie de leur activité.
Ils peuvent s’engager par eux-mêmes aux coins jeux ou aux ateliers, généralement au moment qu’ils souhaitent sur un créneau horaire.
Ils ne sont pas répartis par groupes fixes et bien souvent, ne sont pas répartis par sections. Ils naviguent entre les différents pôles d’activités disponibles en même temps (ateliers, coins) , les investissent avec qui ils veulent, quel que soit son âge.
Deux règles incontournables : on ne dérange pas les autres et on est obligé de faire au moins un atelier sur le créneau horaire.
La classe est un lieu de vie commune où l’enfant a une grande autonomie, qui dépasse le simple fait de faire seul une activité pensée pour lui par l’adulte.
Cette autonomie permet d’ouvrir une voie d’accès aux savoirs puissante : l’apprentissage vicariant. L’enfant apprend en observant les autres en activité, l’enfant peut « penser » l’activité, les savoirs en jeux en regardant faire les autres, ce qui est plus difficile à mettre en oeuvre lorsqu’il est lui même dans l’action.
Grace au mélange des sections, beaucoup peuvent analyser le travail de plus experts qu’eux, même s’ils n’ont pas encore les « mots » de l’école et ses attendus.
L’engagement des autres élèves qui travaillent sous leurs yeux est souvent contagieux : « moi aussi, je veux le faire ».
Le respect du besoin de jouer de l’enfant lui permet de s’ouvrir au travail scolaire. Au bout d’un moment, beaucoup de petits curieux se détournent des coins jeux pour venir voir ce qui se passe ailleurs.
(Voir les travaux de Bandura sur l’apprentissage vicariant.)
Posture d’enseignant
L’observation est aussi au cœur de mon métier. Lorsque je mets en place un atelier échelonné, j’analyse les réponses des élèves pour pouvoir l’adapter, l’enrichir si besoin. Je prends aussi le temps de « penser » mon travail durant la classe, parce que la diversité des enfants, de leur mode de fonctionnement ne peut pas se prévoir à l’avance. Nos élèves nous réservent bien souvent des surprises et c’est tant mieux s’ils ne rentrent pas dans une fiche de préparation !
Enfin, même si ce n’est pas ce que je préfère, je suis toujours prête à m’investir pour un climat de classe serein, quitte à abandonner provisoirement notre cœur de métier (enseigner) pour me concentrer sur les comportements : ne pas crier, taper, courir, jeter les jeux à travers la classe…
Aucune autonomie n’est possible sans qu’un minimum de règles soient respectées par tous. Quand les effectifs dépassent 25, je passe beaucoup de temps à essayer de maintenir un climat de classe agréable. Je n’y arrive pas tous les jours.
3. Exemples d’ateliers échelonnés
Plusieurs niveaux de difficultés proposés d’emblée
Plusieurs niveaux sont proposés d’emblée aux élèves, quelle que soit leur section, comme dans cet exemple :
Niveau 1 :
L’enfant place des mosaïques sur la grille et développe sa motricité fine, sa sociabilité quand il travaille auprès d’autres personnes, partage le matériel et respecte l’espace de chacun. (Enfin, c’est le but !)
Niveau 2 :
L’enfant remplit les cases de mosaïques en respectant les couleurs.
Niveau 3 :
L’enfant place des mosaïques dans les cases en tenant compte de la quantité et de l’orientation représentée sur des cartes consignes.
L’enfant n’effectue pas tous les niveaux les uns après les autres mais cherche celui qui lui convient le plus.
En naviguant d’un niveau à l’autre, il en apprend sur les composantes de l’apprentissage et sur lui-même. Certains ont besoin de commencer par des niveaux très faciles pour se rassurer. D’autres, parfois portés par un égo surdimensionné, attaque un niveau très éloigné de leurs compétences avant de se pencher sur le monde réel et de s’intéresser aux apprentissages. La plupart des enfants cherche à progresser.
Un brevet peut encadrer ce type d’atelier.
Défi avec un seul modèle : chercher comment s’en approcher
Arriverez-vous à construire un monstre ?
Un monstre avec des cheveux et des dents ?
Avec 4 dents bien alignées et 5 cheveux comme celui-là ?
Le parcours progressif
Il s’agit dans ce cas de progresser le plus loin possible dans un parcours d’ateliers de plus en plus complexes comme présenté ici, dans ce parcours langage.
Niveau 1 :
Les enfants enregistrent les répliques d’un album de randonnée très simple (« Petit poisson blanc »).
Niveau 2 :
Ils inventent une histoire à partir de nouveaux personnages.
Niveau 3 :
Ils enregistrent des répliques inventées.
Des enfants de petite section ayant un très bon niveau de langage ont participé aux activités de niveaux 2 et 3.
4. Carte heuristique des ateliers échelonnés
5. Une vision différente des pratiques usuelles
Traditionnellement, à l’école, on propose des progressions par section : en période 1, les élèves de GS « apprennent » à dénombrer jusqu’à 3 par exemple. L’enfant travaille une seule fois sur un atelier fixé par l’enseignant, puis passe à un autre, quelque soit son niveau de réussite. Des aides sont mises en place pour les élèves en difficultés.
Cette vision de l’enseignement tend à rapprocher chaque enfant d’une norme. La différentiation est envisagée comme une « re-médiation » prescrite a posteriori aux malheureux éjectés de la trajectoire prévue.
Dans les ateliers échelonnés, plusieurs niveaux de difficultés sont proposés à tous, ajustés s’il le faut à la réalité de la classe. Les enfants les investissent non pas en fonction de leur section, mais en fonction de leurs compétences.
La différentiation est envisagée en amont et on donne du temps à l’enfant pour expérimenter ces différents niveaux de difficultés grace aux inscriptions multiples.
Cela lui permet de travailler au plus près de sa zone proximale de développement, pas toujours facile à identifier pour lui comme pour nous.
Il trouve aussi dans ce tâtonnement l’occasion de prendre conscience de ce dont il est capable. Il cerne par lui-même les composantes d’un apprentissage, ses orientations et peut se situer : voilà ce que je sais faire, voilà ce qu’il me reste à apprendre.
6. Questions courantes
Les grandes sections travaillent toujours avec les PS/MS ?
Non, dans notre classe, les grandes sections bénéficient de créneaux où ils travaillent sans le reste de la classe, notamment le matin sur un plan de travail et en début d’après-midi s’ils ne sont pas trop fatigués.
Ça demande beaucoup plus de préparation que des ateliers classiques ?
Oui, il y a plus de matériel et d’activités à préparer mais l’atelier dure beaucoup plus longtemps. Les enfants s’y inscrivent plusieurs fois et l’atelier se prolonge tant que les élèves peuvent progresser. Ce n’est pas le cas des ateliers classiques où les enfants ne participent qu’une fois, je crois.
Ce n’est pas tant le temps de préparation qui me semble important que la quantité de matériel que cela demande. Il faut aussi de l’espace dans la classe pour le mettre à disposition (et le ranger). Dans une classe de 40 m2 avec 30 élèves, je ne crois pas que je pourrais travailler comme ça. Matériellement, ce serait impossible.
Merci au Café Pédagogique qui a fait écho à ce travail dans ses colonnes.