1. Jouer ou travailler ?
« A l’école, on n’est pas là pour jouer, on est là pour travailler !… »
Cette vision de l’école hante parfois les enseignants et inspecteurs.
Elle rend les coins jeux presque honteux.
Un « bon » professeur fait travailler sa classe sur une activité qu’il a pensée, programmée avant et après une autre. C’est ce qu’on imagine souvent de ce métier.
Pourtant… À l’école on est là pour apprendre. Et les coins jeux constituent un espace d’apprentissages social, langagier, mathématique, moteur… même s’ils échappent à l’enseignant.
Apprendre en jouant
Le jeu favorise la richesse des expériences vécues par les enfants dans l’ensemble des classes de l’école maternelle et alimente tous les domaines d’apprentissages. Il permet aux enfants d’exercer leur autonomie, d‘agir sur le réel, de construire des fictions et de développer leur imaginaire, d’exercer des conduites motrices, d’expérimenter des règles et des rôles sociaux variés. Il favorise la communication avec les autres et la construction de liens forts d’amitié. Il revêt diverses formes : jeux symboliques, jeux d’exploration, jeux de construction et de manipulation, jeux collectifs et jeux de société, jeux fabriqués et inventés, etc. L’enseignant donne à tous les enfants un temps suffisant pour déployer leur activité de jeu. Il les observe dans leur jeu libre afin de mieux les connaître. Il propose aussi des jeux structurés visant explicitement des apprentissages spécifiques.
IO 2015
Dans notre classe, les coins jeux sont ouverts en même temps que les ateliers, pour que tous les enfants puissent y accéder et pas uniquement ceux qui ont terminé leur travail, comme c’est souvent l’usage. Ces coins jeux sont bien plus qu’une variable d’ajustement, ils participent aux progrès des élèves mais de façon informelle.
Aux coins jeux, les enfants s’engagent par eux-mêmes. Ils y apprennent à… Parler, écouter communiquer ? Ils ont trié, compté, comparé, rangé ? Affiné leur motricité ? Résolu des problèmes ? Trouvé leur place au sein d’un groupe ? Découvert l’altérité ? Développé leur imagination, leur créativité ? Exercé des apprentissages scolaires ?
Cela dépend de chaque enfant, de sa façon d’investir le jeu, de ceux avec qui il le partage, du dispositif mis en place.
Il nous faut « lâcher prise » sur les parcours des élèves et accepter qu’ils puissent apprendre par eux-mêmes, sans nous.
Notre métier prend alors une forme singulière : l’enseignant aménage ces espaces et y organise une utilisation respectueuse. Cela demande du matériel, un travail rigoureux sur le climat de classe et une pratique professionnelle rarement abordée en formation. Peut-être parce qu’à l’école, le jeu ne semble pas très sérieux. Pourtant, qu’est-ce qu’on apprend en jouant !
Mais l’intérêt des coins jeux va bien au delà des apprentissages développés : ils donnent aux enfants l’envie de venir à l’école, par la puissance du jeu qui entraine l’enfant mais aussi parce que ces espaces existent souvent dans les familles. L’enfant s’y sent un peu comme chez lui. C’est rassurant. La rentrée y est plus douce, notamment pour les petites sections.
Cette attractivité facilite l’intégration des règles de la classe : si l’enfant veut y rester, il doit respecter ces règles rapidement et apprendre à ne pas crier, taper, jeter les jeux, monter sur les tables…
2. Mise en œuvre des coins jeux
Quand ?
Les coins sont accessibles dès le matin, pour presque toute la journée. Le tapis du coin regroupement dispose aussi de jeux de constructions
Comment ?
Pour y accéder, il faut passer à son poignet un chouchou de couleur qui matérialise le nombre de places disponibles. Ils sont accrochés à l’entrée des coins jeux. S’il n’y a plus de chouchous, c’est qu’il n’y a plus de places.
Les enfants interprètent parfois au premier degré cette règle : « s’il me faut absolument un chouchou pour aller au garage, j’entre dans le coin, j’arrache le chouchou du bras d’un enfant et je m’installe. »
Le bruit et les disputes
Pour rester aux coins jeux, il faut respecter les copains, le matériel et ceux qui travaillent. Dans le cas contraire, je me déplace et j’énonce sans crier les règles : « Tu fais trop de bruit à ce coin jeu. Tu nous déranges. Tu sors. »
Bien souvent, ils essaient de négocier, de m’amadouer, parfois de me soumettre. Mais je reste de pierre (comme maman Quichon 😉 ) et je sors tranquillement mais fermement l’enfant du coin jeu. Il arrive en début d’année qu’il manifeste son désaccord avec des hurlements, des coups de pieds… Mais cela ne dure pas. Petit à petit les élèves comprennent qu’ils n’ont pas d’autres options : s’ils veulent jouer là, avec leur meilleur copain, c’est discrètement. Ça motive et au fil du temps, j’interviens de moins en moins.
Mon intransigeance peut paraître dure. Mais elle est contre-balancée par l’attention bienveillante (*) que nous manifestons à l’égard de chacun, par le respect des besoins fondamentaux des enfants. Grâce à cette intransigeance sur les comportements et le niveau sonore, tous les enfants peuvent jouer dans la classe.
A la rentrée comme au retour de vacances, je ne prévois que des ateliers autonomes les premiers jours pour me consacrer à la mise en place de ce cadre.
(*) J’avais écrit ce mot, « bienveillance », en 2011, dans la première version de cet article. La « bienveillance » n’était alors pas servie à toutes les sauces. Ce mot est presque devenu « urticant ». Mais il est tellement important pour moi, que je ne peux pas l’ôter de mon vocabulaire pour autant.
Le niveau sonore… des adultes
Le faible niveau sonore demande souvent un travail sur soi des adultes. Nous avons tendance à élever la voix, que l’on s’adresse au groupe ou à un enfant. Cela crée une nappe sonore qui oblige les uns et les autres à élever la voix à leur tour, pour échanger. Si l’on souhaite que des échanges aient lieux, si l’on souhaite que les enfants puissent s’exprimer, s’écouter dans les différents endroits de la classe, il faut techniquement que tout le monde soit discret, adultes compris.
Si je m’adresse à un enfant et que ceux situés 3 mètres plus loin ont tout entendu, c’est que je parle trop fort. Si l’ATSEM entend mes remarques à son atelier, à l’autre bout de la classe, c’est que je parle trop fort. Je lui demande la même vigilance.
La question des effectifs
Passé 25, 30 élèves dans la classe, il n’y a pas assez d’espace pour tout le monde, pas assez d’espace pour jouer, travailler, échanger. Les déplacements des élèves sont difficiles, on se bouscule beaucoup façon RER. Le niveau sonore monte, monte… Il n’y a pas assez d’adultes pour répondre aux besoins des enfants ce qui ajoute au stress ambiant. Je ne parviens pas à enseigner tous les jours avec de tels effectifs, je passe surtout beaucoup de temps à essayer de maintenir un climat de classe supportable et une sécurité affective acceptable.
Difficile d’apprendre dans ces conditions. Et ce, quels que soient les choix pédagogiques des enseignants.
3. Les jeux symboliques
Un exemple : la cuisine
Les plus jeunes investissent cet espace par l’action : on tourne les robinets, on ouvre les placards, on vide le frigo, les étagères, tout se retrouve par terre…
Puis rapidement on imite : on touille devant la cuisinière, on nourrit la poupée, la carotte devient biberon…
Enfin, parce qu’il y a d’autres enfants au coin jeu, on communique, on collabore, on négocie et petit à petit un mini-ordre social s’énonce, des aventures prennent forme: Toi tu serais la maman et …
Qu’est-ce qui s’y passe ?
En jouant « à faire semblant », l’enfant imite un monde absent qu’il se représente. Dans ces aller retour du monde « pensé » au monde « joué », il modèle ses propres représentations, tente de les mettre en mots, en gestes, exprime son ressenti, évacue parfois des tensions.
Parce qu’à l’école, les coins jeux réunissent plusieurs enfants, ils constituent un premier lieu de rencontre de l’autre, de représentations différentes, sans l’interface de l’adulte. Des règles sont mises en œuvre, des rôles, des discours…
Quels bénéfices?
L’enfant y développe :
- sa motricité
- sa fonction symbolique et son langage que Piaget lie l’un à l’autre
- son identité en jouant ses représentations du monde et en se confrontant aux autres
- son imagination
- sa faculté à communiquer (se faire comprendre des autres et les écouter)
- sa sociabilité.
Des activités autour des coins jeux
Lors du rangement, les objets sont nommés, placés en fonction d’images affichées. (Il faut ranger les objets sur les étagères comme sur la photographie, veiller à ce que l’on place en haut à droite…) On peut transformer ces photos en un simple dessin, un symbole, un mot.
4. Le coin jeux de construction : avec des briques
Dispositif matériel
Les briques de cartons sont commercialisées notamment par Wesco. Ce coin jeu accueille deux à trois enfants en même temps, il demande de la place. Le sol est tapissé de tapis qui amortissent le bruit des briques qui tombent. De gros cartons sont disposés contre un mur pour ranger les briques.
Qu’est-ce qui s’y passe ?
Les enfants construisent des tours, des murs, des enceintes. Ils tapissent parfois le sol pour créer la cabine d’un vaisseau spatial avec des bancs pour les pilotes, ils créent des circuits pour les voitures, des plans inclinés.
Aucune excitation ne s’y développe, comme on pourrait s’y attendre avec ce type de jeu. Aucune brique n’est jetée à travers la classe. Les enfants savent qu’ils perdraient le droit d’y jouer. C’est mon intransigeance vis à vis du respect des règles qui me permet d’offrir ces espaces d’une incroyable richesse aux enfants.
Quels bénéfices ?
Les élèves y développent les mêmes compétences que dans les jeux symboliques avec des dominantes différentes : ils exercent plus leur motricité et leur sociabilité. Il faut savoir s’exprimer, se faire comprendre et s’entendre pour construire ensemble une maison…
Ce coin jeu permet d’expérimenter l’espace : la verticale, la droite, les alignements, l’orientation des briques et de leurs faces rectangles, les grandeurs et mesures lorsqu’il s’agit de combler un espace. Indirectement, l’enfant exerce sa compréhension de l’espace lorsqu’il joue : le haut, le bas, la droite, la gauche.
Ces notions constituent des prérequis indispensables à la maîtrise du langage écrit : différencier un p et b, un p et un q, c’est savoir repérer ce qui est en haut, en bas, à droite, à gauche.
Le développement de différentes compétences complexes est actif (sociabilité, motricité, imaginaire, repérage dans l’espace, tri…) quel que soit le type de jeu de construction.
Des activités autour des coins jeux
Les enfants trient par couleurs les briques lors du rangement.
- Avec des briques de papier, en atelier ils construisent par collage des tours, des murs, des châteaux avec des créneaux.
- Un enfant est l’architecte : il donne les consignes à un autre enfant pour construire une tour photographiée « Prends deux briques vertes, mets les en bas, pas collées. »
Les briques sont utilisées parfois en sport, pour réaliser des parcours, constituer des obstacles, ou servir de projectiles.
5. Coins jeux sérieux
Qu’est-ce que c’est ?
Le coin jeu sérieux reste un jeu : les enfants gardent l’initiative d’y aller ou pas, mais il comporte une dominante très scolaire et parfois des règles précises, des défis à réaliser. Ils reprennent des apprentissages déjà abordés. Ils s’adressent aux passionnés d’école, à ceux qui se régalent des fiches d’écritures, de situations numériques complexes, de défis… Leur plaisir, leur enthousiasme entraîne parfois d’autres enfants avec eux. Ce chapitre en présente brièvement quelques exemples.
Le coin jeu numéros
Les enfants essaient de reconstituer la file numérique le plus loin possible.
Un premier niveau avec des perles, jusqu’à 10 est disponible.
Un brevet garde la trace de leurs réussites et présente les défis à relever.
Le coin bureau (écriture)
Les enfants reprennent au feutre effaçable, des fiches d’écriture d’abécécriture qu’ils ont déjà travaillées. Ce coin est ouvert aux MS/GS (et aux petits très à l’aise en écriture.) Les fiches cursives sont réservées à un public désigné : les enfants capables de respecter les sens de rotation des lettres, les points de départ des tracés…
Le coin des mots
Les enfants ont déjà participé à un atelier des mots et appris à les recomposer lettre à lettre en commençant par la première. Seules les lettres des mots affichés sont disponibles. Sur la vidéo, une élève de moyenne section accompagne une élève de petite section.
Boite à histoires
Ce coin jeux vient conclure tout un travail d’appropriation d’une histoire.